Cassé, sec, abîmé, c'est comme cela que Yaël est né. Le jour de la fête dont il porte le nom, il a poussé son premier cri, déchirure de ses poumons qui engouffraient l'air pour la première fois, la lumière trop vive, les bruits trop forts, les mouvements trop rapides… Bébé potelé, bébé fragile, une épaule démise, deux côtes fendues, la hanche fracturée. S'il n'avait pas été malmené, c'était sa vie qui allait l'être. Ostéogénèse imparfaite était certes sa maladie génétique, l'imperfection serait sa ligne de conduite. Ses parents, il ne les verra que ce jour, alors que son visage violet et tordu de douleurs s'était pitoyablement tendu vers un ciel qui ne le bénissait pas. La maladie des os de verre le rend impuissant au monde, inapte à vivre, alors il est vendu à Hyperion, cobaye de ses expériences pour parfaire la masculinité de la réussite des Sirens.

Plusieurs années durant, il sera enfermé, éduqué pour ne pas mourir totalement stupide, exploité, tatoué à de trop nombreuses reprises, testé, cassé, réparé, abîmé, rafistoler, brisé… L'enfant fragile dont le corps se détruit à la moindre contrariété : une marche manquée, il veut se rattraper à la rambarde des escaliers et y laisse un poignet ; une pause dans la bibliothèque, le genou qui frappe la table par inadvertance et la rotule qui explose ; et lorsque les autres petits rats de laboratoire comprennent qu'ils peuvent espérer une suprématie sur lui, ce n'est que coups, bousculades, pièges tendus à longueur de temps, pour voir si, un jour, il va cesser d'hurler quand il s'écrase et que ses os se broient. Aucun refuge auprès d'eux, aucun refuge auprès des adultes, une torture constante entre toutes leurs expérimentations morbides.

Yaël grandit et se forge entre le désir de vivre libre et les morts trop nombreuses des diables qui subissent les mêmes expérimentations que lui, entre la solitude et la compagnie de démons intérieurs, entre le silence de ses refuges et les hurlements de ses rancœurs, entre l'oubli de soi et l'envie de l'être… La première libération, l'éridium qui prend enfin dans son corps, alors que sa peau semble s'embraser sous les aiguilles des scientifiques, que son corps lui paraît vouloir fondre, ses muscles espérant sécher jusqu'à finir en cendres et ses os… Ses os qui paraissent peser une tonne, mais être d'acier. Sous cette énième expérience qui semble ravir les tarés de laboratoire, Yaël a l'impression de mourir et de ne renaître que sous la forme d'un squelette géant et indestructible. L'ostéogénèse, l'imperfection de son corps, sa petite mort qu'il élève depuis son premier jour, alors qu'elle ne veut que l'abaisser jusqu'à son dernier… cette pute s'en va, sans mot dire, sans prévenir, alors qu'il ne s'y attend pas, d'aucun ne s'y attendait plus d'ailleurs. Elle quitte son corps tordu et grinçant, l'éridium grouillant sous sa peau la chassant et réparant ce qu'elle a meurtri pendant tant d'années.

Pouvoir descendre des escaliers, tomber dedans même ; pouvoir se lever d'une table, frapper dedans même ; pouvoir courir, pouvoir sauter, pouvoir escalader, pouvoir soulever un poids, le lancer ; pouvoir rendre les coups, pouvoir pousser à son tour, pouvoir se venger des pièges tendus… Vivre librement, même dans une prison. Yaël se trouve une passion pour le sport, pousser son corps à l'extrême, ne plus donner l'impression qu'il est facile d'avoir l'ascendant sur lui. Lui ravi de son évolution, les scientifiques ne semblent pas y trouver encore leur bonheur. Un enfant guéri n'est pas un enfant magique à leurs yeux, il leur en faut plus. Les expérimentations continuent, endurer la douleur de plus en plus loin, pousser son corps à l'extrême dans les maux encore une fois…

Cette prison qui semble vouloir le briser autant qu'une simple accolade pouvait le faire, cette prison qui semble vouloir le voir s'effondrer, alors qu'il ne demande qu'à rester fièrement debout maintenant. Cette prison qui explose un jour, sous une attaque des Rebels. Yaël y voit une sorte d'appel, comme s'il était guidé par l'attraction d'un monde qu'il ne connaissait qu'à travers des cours théoriques et des livres. Expérimenter encore, pousser l'extrême de son lui intérieur, cette fois. Courir, pieds nus, dans les décombres, puis sur le sol rude, parfois une herbe haute et trempée, courir jusqu'à ne plus rien voir, ni ne rien entendre, ni ne rien sentir de ses géôliers et de leurs laboratoires imprégnés d'une nouvelle odeur de mort, différente de celle qu'il a connu des petits cobayes. Son exil est guidé par un instinct inconnu, qu'il jurerait encore aujourd'hui ne pas avoir été le sien. Une publicité indiquant une direction qu'il décide de suivre, puis un lampadaire qui s'éteint au croisement de deux routes l'entraînant alors sur celle qui ne paraît pas dangereuse, ou encore ce chat qui fuit en le voyant arriver pour finir par réapparaître quelques centaines de mètres plus loin et l'entrainer vers les premières lueurs d'une ville.

La suite n'a été faite que de ces signes que son esprit déconnecté a suivi sans y réfléchir. Le bruit de la ville, les nouvelles odeurs, les gens, leurs regards, leurs airs… Tout était nouveau pour lui. Et ce sentiment de panique aussi, il ne l'avait jamais connu, habitué à la même rengaine chaque jour : réveil aux aurores, expériences, déjeuner succinct, cours, expérimentations, nouveau repas, cours, expérimentations, quartier "libre", expérimentations, cachets, coucher. Chaque jour n'avait été qu'une succession de tortures, mais il n'était jamais surpris de rien. Même les pièges que lui tendaient les autres enfants, dans le but d'entendre ses os se fracturer, il avait fini par s'y faire, à l'époque. Ici, tout était nouveau et cette panique le figea sur place. Adieu les signes. Ce fut roulé en boule, derrière le conteneur d'une ruelle qu'un commis de cuisine le trouva, alors qu'il sortait les poubelles à la fin du service.

Recueilli, nourri, instruit, Yaël continua de grandir auprès d'une famille de substitution, qui était elle-même composée de membres de familles reconstitués. Il apprit la société et ses déboires, la cuisine et son art, les êtres sensées et leur sexe, les mondanités et leur jeu… Majeur enfin, il s'enrôle auprès des Vault Hunters. Il a certes beaucoup appris, de la vie, mais il reste une chose qu'il aimerait découvrir, à comment par savoir quelle est ladite chose. Alors il cherche… Et cherche encore aujourd'hui. A défaut de trouver quoi, il chasse les reliques.

Bébé de verre, enfant cobaye, adolescent puissant, adulte respectable, Yaël n'a pas viré démoniaque, même après avoir grandi dans un tel enfer. L'équilibre n'est en aucun cas sa caractéristique première, certes, mais il est aujourd'hui chef cuisinier d'un grand restaurant de renom à Opportunity, passe ses heures perdues à se noyer dans les festivités et son temps libre à courir après une chose dont il ne connait même pas le nom. Pourtant, le ciel qui ne l'a pas béni à sa naissance semble vouloir encore parfois lui tomber sur la tête, quand il doit régulièrement se faire charcuter pour réparer maintenant ses organes. Tout cela a commencé par un rein, dernièrement c'était une partie du foie… Visiblement, l'éridium a soigné son squelette, lui a donné une illusion de vie longue et jouissif, dont il essaye de vivre chaque minute, mais tout a un prix et être rongé de l'intérieur semble être celui a payé.