Mars X232...

Elle n'avait jamais imaginé se trouver là, pas un instant étant donné sa vie. Leur vie. Pas un instant étant donné qu'ils avaient la santé, le bonheur, leur lien unique. Pas un instant on ne pensait au mal quand tout allait bien et, pourtant, il est toujours tapis dans les coins de pénombres d'une existence, d'une pièce, d'un endroit tout particulier où on ne l'attendait pas. Prêt à frapper et à faire de cette vie, jusqu'ici parfaite, un sombre cauchemar de mélancolie et de larmes. Les yeux humides, le nez rosi par les pleurs qui lui semblaient interminables, le ventre noué par la douleur qui, bien que mentale, lui semblait tout aussi insurmontable, Amélia ravala sa salive puis pinça les lèvres, en un sourire de convenance, avant de croiser le regard plutôt compatissant de cet homme installé derrière le bureau face à eux. Eux, les frères et sœurs de Mark, ses nièces et neveux. Toutes ces personnes qui, jusqu'à présent lui avait souri, l'avait quasiment aimée comme une des leurs et qui, aujourd'hui, se muait en sorte de créature immonde et avide des biens que possédait la personne qui n'était plus.

- Allez y … ça ne cessera pas de toute évidence et, il faudra faire avec excusez moi. Souffla-t-elle sous un pincement de lèvres du chargé d'ouverture testamentaire. Bien, …. procédons donc à l'ouverture du testament du docteur Mark Hyves en date du 10 Mars X232 à 10H00 précise en la présence de ... A cet instant, l'esprit de l'historienne s'évada au passé plus doux que l'instant présent. Sa mère lui avait dit, le jour de sa naissance en X190, qu'elle était le soleil qui illuminerait son existence. Simple nourrisson, elle ne l'avait su que lorsqu'elle avait été en âge de comprendre, durant cette enfance modeste, mais joyeuse, au sein d'une famille déjà employée par la firme qui, plus tard, deviendrait un des moteurs de son existence. Amélia se souvint des jeux, du jardin qui à l'époque constituait un véritable terrain d'exploration, une mine de savoir et autres questions auxquelles, plus grande, on lui répondrait sur les banc studieux de l'existence.

- Les livres cités ci-dessous, vont à ma sœur Jane, puisses-tu en faire bon usage... Les livres, l'école, les études. Elle avait aimé chaque jour où de nouvelles connaissances enrichissaient son monde, les teintes qu'elles lui donnaient, la saveur toute particulière qui en ressortait... Les livres et leur histoire, diverses aventures riches de révélations et de découvertes. Un vague sourire, pourtant perlé de larmes, fila ses lèvres lorsqu'elle songea à son adolescence, à ces premiers cours d'histoire, elle n'avait que dix ans en X200 et, malgré tout, elle avait su qu'elle désirait poursuivre sur ce chemin ci.

- La navette personnelle, celle d'une jeunesse qui fut belle et prospère, ira à ... Ce véhicule là, dont elle se fichait pourtant à contrario de Mark, elle l'avait vu, pour la première fois, à l'âge de dix sept ans, lorsqu'elle était entrée dans l'établissement où elle pourrait suivre des études supérieures. Amélia se souvenait de l'homme qui en était sorti, pressé par le temps, en quête de réponses auprès d'un de ses professeurs de l'époque, pour poursuivre des recherches. Mark Hyves s'était présenté à elle en remarquant ce livre entre ses doigts « histoire de Pandore tome 1 », puis ils avaient discuté et, malgré leur différence, un lien s'était noué. Amélia se souvint des premiers rendez vous, de chaque premières fois, ce premier baiser, leur première étreinte, ses sourires, sa gentillesse. Trois ans plus tard, il l'épousait en X 210.

- Mes thèses et écrits reviennent à mon épouse. Je sais que tu sauras y trouver les réponses qui te feront défauts parfois Amélia... Amélia redressa les yeux vers l'homme qui narrait les phrases écrites de la main de Mark. Elle revit leur mariage, les premières années de bonheur et l’entendit à nouveau, comme ce fameux jour de X217, à la fin de ses études, lui proposer ce poste dans l'entreprise où lui officiait. Elle venait d'avoir son diplôme, officiellement historienne, et grâce à lui, elle obtenait ce travail qui ferait sa renommée et enrichirait chaque jour d'un avenir déjà tracé dans son esprit. Les photographies de mes voyages... Ces clichés, en y songeant elle esquissa un sourire. C'était la première fois qu'elle rejoignait un site de fouilles pour le compte d'Hyperion, en X218, la première fois qu'il l'y accompagnait. La première fois pour elle qu'elle pouvait étudier en profondeur. La première fois qu'elle se passionnait pour les Arches et leurs légendes. La première fois aussi où Mark avait craint pour sa vie au point de désirer la protéger à hauteur de son savoir faire.

X219, à 29 ans, sa nature changea suite à diverses expériences et injections consenties de sa part. Elle ne l'avait fait que par amour pour lui, tout comme lui ne le voulait que par amour pour elle, pour qu'elle puisse faire face si, un jour, elle se retrouvait seule face à l'adversité. Certes la douleur avait été électrisante mais, désormais, et ici, en glissant les doigts à la manche de sa robe noir comme la nuit, elle l'en remerciait encore de lui avoir permis d'être indépendante et libre. Le don n'était pas hostile, du moins, elle ne voyait en lui qu'une manière de se préserver d'attaques et violences en tous genres même si, bien évidement, il y avait une contrepartie. Après tout, la nature quémandait toujours une contrepartie. En dix ans, sa vie avait été rythmée par des voyages et quêtes tous plus enrichissantes les unes que les autres. Mes vieux jouets d'enfant, vont à mes neveux et nièces... Les enfants, elle aurait aimé en avoir, cependant Mark n'avait eu le temps de lui donner et, en un sens, peut-être que sa nature ne pouvait guère lui permettre d'en avoir. Désormais c'était terminé, terminé depuis ce 29 Février X232.

A la fin de cette lecture, elle les avait vu murmurer, lui lancer divers regards sombres, froids tandis qu'elle quittait la pièce. Elle ne savait pas qu'il avait décidé cela, néanmoins et si sa famille l'avait aimé, désormais elle ne voyait de lui qu'un homme aveuglé par son épouse à qui il avait légué toute sa fortune. Quant à elle, Amélia aurait tout abandonné pour qu'on le lui rende, qu'il vive à nouveau, qu'ils puissent vieillir ensemble comme elle l'avait imaginé lorsque leurs regards s'étaient croisés pour la toute première fois...