« Riley ! Trent arrête pas de me voler mes jouets ! Et Elisa veut pas me prêter les siens, en plus on a pas eu le goûter encore et … Riley ! Tu m’écoutes ou toi aussi tu t’en fiches de nous ?! » La brunette leva le nez de son café, des poches de six pieds de longs sous les yeux, de quoi repartir à l’aventure sur Pandore pour y entreposer tous les trésors qu’elle ne trouverait pas. « Je t’écoute Lily, que se passe-t-il exactement ? » Ce qu’il se passait ? Riley le savait, elle venait d’enchainer trois clients, ses forces la quittaient et Stella était occupée à … sa nouvelle lubie. Ce n’était pas une lubie, l’aînée le savait, évidemment qu’elle avait besoin de faire et voir autre chose que ça, évidemment que … qu’elle ne resterait pas toute sa vie dans ce trou perdu, pas comme moi. « Okay tu sais quoi ? On va aller voir Stella, elle a toujours une super idée pour tout ça non ? »

L’idée d’une promenade dans ce dédale de passerelles, même si ça ne durait qu’une poignée de minutes, sembla contenter les gosses présents. En dix minutes, tous étaient prêts, tous c’est-à-dire une dizaine de gosses entre quatre et dix ans. Douze ans peut-être, Lily était tellement chétive qu’il était difficile de lui donner un âge sans se tromper et comme elle refusait d’en dire trop sur elle. Riley poussait pas, elle comprenait ses gosses qui se planquaient, comme Stella et elle à l’époque. Le petit troupeau rejoignit les passerelles par l’arrière-boutique, pas question que de potentiels clients voient la marmaille sortir du bordel, ça tuerait sans doute l’attrait du lieu. Ou pas et là, elle serait obligée de leur trouer les parties, préférant éviter la violence donc …

Stella n’était pas loin, mais elle n’était pas là et encore aujourd’hui c’était souvent elle la meilleure avec ces enfants, surtout quand Riley avait dépassé les limites de l’utilisation de son don pour envoyer plusieurs clients au septième ciel. Poussant la porte du petit local que sa sœur occupait, Riley souffla. « Toc toc toc, c’pour réparer mon petit cœur brisé … » La brune gloussa avant de se décaler pour que les enfants puissent entrer, déjà tous à courir vers Stella. « Désolée d’débarquer comme ça, mais … » Bon lui dire devant toutes ces oreilles qu’ils étaient intenables et qu’elle envisageait de les balancer au fond du cratère pour un peu de repos n’était pas l’idée du siècle.

Riley attendit sagement que sa sœur puisse s’extirper de l’attention des mômes une seconde pour la prendre à part. « Ils étaient nombreux aujourd’hui, j’ai pas vraiment arrêté et … » De sa main droite elle mima des cercles près de son visage, Stella comprendrait sans doute qu’elle voulait dire par là qu’elle avait des vertiges depuis deux bonnes heures et besoin de dormir mais que c’était impossible avec les enfants perdus qui braillaient à tout va. « T’penses que tu pourrais passer en pause déj ici une petite heure le temps que je pionce et … après tu peux revenir … ici. » Elle ne la jugeait pas, non, simplement sa sœur lui manquait. Pas juste pour s’occuper des enfants, parce que la laisser ici c’était la regarder prendre son envol, et lorsque Stella aurait pris son envol … tu n’auras plus besoin de moi, petite étoile.

Son index se posa un instant sur ses lèvres, l’air pensif, et faussement triste. « C’que t’as de plus solide, tu sais bien que dans mon métier je m’attache à tous les beaux gosses qui passent. » La. Bonne. Blague. Riley se décala pour laisser entrer les gosses qui ne tardèrent pas à fondre sur Stella telle une meute de fauves affamés. Et finalement, n’étaient-ils pas affamés ? « T’en fais pas, ils étaient juste pressés de te revoir, grande sœur Stella … » L’aînée se moquait gentiment de la benjamine, sans doute parce que pendant un temps elle avait été grande sœur Riley, enfin elle l’était toujours avec Stella mais plus avec ces enfants perdus qui se raccrochaient plutôt à la plus jeune. Loin de déranger Riley, ça l’aidait à se détacher de tout ça, à les laisser partir quand ils le voulaient, quand ils le pouvaient.

La fatigue se lisait sans doute dans chaque geste et parole de la brune qui pourtant voulait ne rien montrer, pour ne pas inquiéter sa sœur, pour ne pas lui rappeler de quelconques responsabilités qu’elle n’avait jamais demandé. Mais c’était sans doute inutile, des années à vivre seules, toutes les deux, soudées et unies comme les doigts de la main, avaient aidé à ce que la plus jeune sache lire parfaitement tout ce qu’elle faisait, disait, était. « T’es sûre ? » souffla-t-elle en fronçant les sourcils d’un air désolé, obtempérant finalement pour se diriger vers la paillasse dans un coin de ce petit taudis que Stella considérait sans doute comme … une seconde maison ? Elle ne lui en voulait pas et ne jugeait pas, vu la tronche de la première maison …

Alors que Stella disparaissait avec toute la marmaille, la brunette se laissa tomber sur la paillasse qui a défaut d’être confortable était au calme, loin des piaillements des enfants, des disputes, des chamailleries. Un sourire se dessina sur son visage en les regardant s’éloigner, jusqu’à ce qu’elle se laisse aller à fermer les yeux pour une sieste bien méritée, une petite sieste. Juste une petite sieste. Une micro-sieste … de deux heures dont elle émergea difficilement en sentant l’odeur d’un repas soigneusement préparé, avec les moyens du bord comme toujours, mais Stella était un cordon bleu, ce qu’elle-même n’était clairement pas.

Riley s’étira comme un chat, roulant un instant des épaules en se redressant, assise en tailleur sur la paillasse. « J’vais être honnête, j’ai la tête dans l’cul là … » Récupérant l’assiette et la fourchette pour la porter à ses lèvres, l’aînée des Ainsworth acquiesça avant de goûter le plat. D’un revers de la main qui tenait la fourchette, elle essuya le coin de ses lèvres avant de répondre. « J’risque d’y prendre goût, au petit déj au lit. Et je te ferai dire que c’est pas du tout mon genre de fouiller, tu me connais mieux que ça … » Riley laissa planer un petit silence avant de s’esclaffer, fouiller, fouiner, poser mille et une questions pour garder à l’esprit chaque réponse, c’était bien son truc. Curieuse comme pas deux. « Bon ap’ ma puce. » conclut-elle avec ce sourire tendre de grande sœur plus trop dans son rôle depuis quelques temps déjà. Pas vraiment dans celui d’une mère non plus.

L’assiette posée sur son genou droit, Riley racla le fond de l’écuelle de la fourchette, profitant de ce repas sans l’engloutir. Elle haussa finalement une épaule en reprenant. « C’est plutôt … cool comme … t’appelles ça comment ? Une cachette secrète ? Une planque ? Mais t’sais, t’as pas besoin de partir pour faire tout ça, ça m’dérange pas et ça les dérangerait pas non plus et … » Et elle n’avait pas besoin de quitter le nid, de s’éloigner d’elle, de sortir de cette zone de sécurité dans laquelle elle se savait pouvoir la protéger.

Riley tira la langue à la remarque de sa sœur, prouvant ainsi ce côté enfantin auquel Stella faisait référence. A les voir là, on aurait pu douter de l’âge et de la responsabilité de chacune, mais l’aînée était loin d’être une abrutie insouciante, sans doute l’était-elle trop, soucieuse. Par moment il fallait bien se détendre, sinon … Sinon elle finissait à vouloir prendre un des gosses qu’elle protégeait pour en frapper un autre pour une sordide histoire de petite voiture. Touillant comme une gosse le repas dans son écuelle, la brune souffla discrètement l’idée que Stella pouvait bien faire la même chose que ce qu’elle faisait ici, au bordel, après tout c’était suffisamment grand, et vide pour qu’elle y occupe une chambre pour taper sur des trucs qui marchaient plus.

« Une antre … genre t’es un démon … » Riley plissa les yeux, un air faussement mystérieux traversant son visage avant qu’elle ne sourit, écoutant les mots de sa sœur. « Ça serait juste un peu d’adaptation … leur apprendre à pas toucher à tout et … » Et quoi ? La sirène haussa les épaules, elle savait que sa benjamine avait raison, mais tous les arguments du monde ne suffisaient pas à lui ôter cette impression que le temps finirait par les éloigner, le temps où son mensonge s’il venait à se savoir. « J’avoue, l’orphelinat si ça s’savait, ça pourrait en mettre un coup à ton commerce comme au mien … hey les gars v’nez on va voir la pute qui trimbale la descendance de ses clients partout avec elle ! … Ouais non. » Le ton était volontairement exagéré, une mauvaise – ou très bonne – imitation de certains gars qu’elle croisait parfois dans Down-Town, ce qui ne savaient pas qu’en réalité, aucun client n’avait jamais posé la main sur elle depuis le premier.

Un petit silence s’installa, un silence où rien d’autre que le son de sa fourchette contre le métal de l’assiette ne se faisait entendre. Riley en fixa le contenu, cherchant le sens de la vie, de leur vie, entre quelques légumes et deux morceaux de viande, relevant le nez vers sa sœur à son soupir. Posant l’assiette, un sourire attendri étira ses lèvres avant qu’elle ne se déplace pour venir à côté de Stella, la saisissant par les épaules pour la serrer dans ses bras. « J’veux pas qu’tu grandisses, t’es comme les chiots ou les chatons, tu d’vrais rester un bébé toute ta vie, toute mignonne … » Elle se moquait, plus encore en se reculant pour lui pincer les joues, jusqu’à ce que le sérieux ne revienne.

L’aînée des Ainsworth se laissa tomber sur la paillasse, assise en tailleur. « J’sais que tu veux grandir, et … pour moi qui t’ai vue grandir j’peux t’assurer que … t’es plus une gamine, et … tu dépends pas d’moi. » En un sens si, mais en tellement d’autres sens non. Si Stella n’avait pas été là pour s’occuper des mioches, Riley aurait pas passé tout ce temps à travailler pour leur payer de quoi se saper ou manger. « Faut juste pas qu’tu grandisses trop vite Stella … J’sais que c’est tentant, l’indépendance, mais c’est surfait. » Riley haussa à nouveau les épaules avant de reprendre. « Par contre … rassure-moi, on a pas besoin d’avoir la discussion ? J’suis pas prête pour ça … » Un éclat de rire ponctua ses mots avant qu’elle ne reprenne son repas, laissant filer un nouveau silence, mais entre elles le silence avait jamais été un souci, jamais été gênant, parce qu’elles se comprenaient au-delà des mots.

Plus mignonne en grandissant ? Riley afficha un air pensif avant d’éclater de rire, sa sœur était mignonne, belle, Stella devenait une ravissante jeune femme et peut être que dans le fond ça l’inquiétait ça. Pas par jalousie, non, simplement parce que les types étaient tous des sales types, qu’aucun ne la méritait, qu’aucun ne serait capable de la protéger même si dans le fond, Stella n’avait pas vraiment besoin qu’on la protège. Ni sa grande sœur ni un quelconque prétendant. A ce rythme c'est moi qui vais te la donner, la discussion. Riley ouvrit grand ses yeux clairs, une moue surprise, choquée même étirant ses lèvres. « Pardon jeune-fille ?! » Elle préférait prendre cela à la rigolade, parce qu’elle ne lui avait pas parlé de tout ça, parce qu’elle ne voulait plus y penser. « Parce que j’ai pas b’soin d’ça. » compléta-t-elle. C’était pas faute de prétendant que Riley était seule, c’était par choix, parce que ce monde était réellement rempli de salauds.

Soupirant, Riley leva les yeux au ciel. Elle rêvait là, elle avait regardé dans un miroir et était tombée dans son propre cauchemar où Stella tentait de lui trouver un mec ? Elle voulait plus que cela même, elle semblait vouloir que sa sœur … vive ? L’idée lui paraissait si saugrenue que la sirène détourna le regard, déposant son assiette loin d’être vide près d’elle pour ramener ses genoux contre sa poitrine. Un peu comme une gamine blessée, pas par les mots d’une personne qu’elle estimait et aimait au-delà de tous les autres êtres vivants de cette fichue planète, simplement par un constat on ne peut plus vrai. « J’sais bien Stella … » souffla-t-elle sans croiser son regard, comme angoissée à la seule idée de reprendre le cours de sa vie. « J’ai prévu d’aller là-haut acheter des trucs pour les enfants … » Pour les enfants, pas pour elle, que pourrait-elle bien vouloir de toute manière ? Elle était en vie, Stella aussi, c’était tout ce qui comptait.

Mais la plus jeune posa finalement la question silencieuse derrière ses précédents mots. Hyperion les pensait mortes, oui … C’était ce qu’elle lui avait raconté depuis un moment, depuis … seize ans ? Pourtant, il devait bien y avoir des gens là-bas pour se rappeler qu’elles étaient bien vivantes quand elles avaient quitté Opportunity. A commencer par leurs parents. Leur simple pensée poussa la brunette à serrer les poings, les mâchoires crispées aux souvenirs de tout ce qu’ils lui avaient infligé, tout ce qu’ils avaient fait et qui l’avait menée jusque-là, jusqu’à ce moment, jusqu’à tous ces choix qui faisaient que cette vie était sa vie. « J’suppose qu’ils ont lâché l’affaire oui, y’avait combien de chance qu’on survive hein … »

Riley prit une longue inspiration, reposant finalement son regard sur sa petite sœur, sa meilleure amie, la seule personne qui compte dans sa vie. Enfin les enfants comptaient, mais ces gosses perdus, ils allaient et venaient, elle leur offrait un refuge aussi longtemps qu’ils en avaient besoin et le voulaient mais elle ne les retenait pas. Le seul élément stable de son existence était là, à vouloir jouer les marieuses. « Wowowowowo … avant d’me trouver quelqu’un, tu verras ce que tu trouves pour toi. Si y’a un seul type bien sur cette planète de merde, il est pour toi, j’en ai pas besoin. » Pas besoin et pas vraiment l’envie, la confiance c’était compliqué, personne en était digne, elle en savait quelque chose en maîtresse des illusions. « D’ailleurs va falloir qu’tu m’expliques comment toi tu peux me faire cette leçon là, Stella … » Okay, c’était plus une gamine, mais quand même …

Faut bien une personne pour te faire la remarque et y a que moi pour ça. Riley esquissa un sourire, peut-être plus triste que ce qu’elle aurait voulu. C’était la réalité, il y avait personne d’autre pour lui faire ce genre de remarque parce qu’elle s’était jamais liée à personne, que ce lien avec Stella coulait de source, parce qu’un même sang coulait dans leurs veines. S’il y avait pas ce lien de sang, est-ce qu’elle serait seule ? L’idée lui effleura l’esprit que s’il y avait pas eu sa petite sœur, Riley aurait sans doute jamais pris son courage à deux mains pour quitter Opportunity, parce qu’elle avait jamais vraiment su se protéger elle-même et que tout ce qu’elle avait fait jusqu’ici, c’était pour la protéger elle.

La brune lui en tenait pourtant pas rigueur, pour rien, chaque décision dans sa vie, Riley les avait prises comme une grande fille et tant pis si certains n’en comprenaient pas les raisons. Stella était pas responsable, elle était comme elle, une victime collatérale. « Un cadeau ? T’as raison j’vais refaire ma garde-robe et m’acheter une nouvelle tripotée de produits de beauté. » ironisa-t-elle, même si dans le fond ça serait surement ce qu’elle se paierait avec les nombreux crédits amassés au gré des arnaques. Regard plissé, Riley posa les yeux sur sa petite sœur qui évoquait ce fameux type bien pour elle-même, elle avait la curiosité de la grande-sœur. « Moi non plus, plus depuis quelques années. » Et comme elle avait décidé que tous les types étaient des connards, des abrutis, des enfoirés, elle s’y intéressait plus du tout, sauf pour les arnaquer. « J’suis sûre que c’est un type bien Stella, j’te fais confiance pour en juger. » Elle lui faisait aussi confiance pour faire attention à elle, pour lui dire si elle devait faire peur à un petit con qui l’aurait blessée, et tout un tas de trucs qu’elle avait pas besoin de répéter parce que Stella le savait déjà.

La discussion semblait s’apaiser, même si on pouvait pas franchement parler de guerre civile entre les deux Ainsworth, mais la plus jeune – et son caractère bien trempé – revint à la charge. « Mais c’est pas … » C’était pas un choix de vie, c’était juste le plus simple, les hommes étaient tous des salopards, aucun de ceux qu’elle avait croisé ne lui donnait la moindre envie d’aller plus loin que l’arnaque de bas étage. Aucun ? C’était un enfoiré, sans doute même l’enfoiré en chef, pourtant il avait eu raison sur un point. Certains souvenirs, certaines sensations avaient ce don de vous coller à la peau, ces courtes discussions avec Nate en faisaient partie. « Stella … je … » Ca dépassait le fait que le seul type qui avait vaguement ravivé un truc qu’elle laissait dormant était un enfoiré de première.

Ça avait à voir avec le fait que le premier qui l’ait touchée était un client de Flora, que le premier dont elle soit tombée amoureuse ait été un connard, et surtout que le premier homme de sa vie s’était servi d’elle comme d’un rat de laboratoire. Elle l’avait tant aimé son père, et sans doute qu’une part d’elle, la petite fille effrayée, l’aimait encore aveuglément en dépit de tout ce qu’il avait fait. Mais la vie lui avait savamment indiqué que les hommes étaient pas dignes de confiance, juste bons à être utilisés, de différentes manières, mais avec toujours cette même finalité à ses yeux clairs ; financer son quotidien, ce qui constituait le plus important à ses yeux et qui piaillait à quelques mètres de là. A assurer la sécurité de celle qui se trouvait là près d’elle. « T’as pas besoin d’essayer de me pousser dans les bras de je sais pas qui pour avoir ton espace, on est toutes les deux adultes et on peut discuter. Est-ce que j’aimerais que ma petite sœur soit encore avec moi tout le temps ? Oui. Est-ce que j’ai conscience qu’elle doit apprendre à voler de ses propres ailes et que ça se fait pas en restant près de moi ? Aussi. » Ca voulait pas dire que ça lui plaisait, mais c’était comme ça. Et ainsi elle évitait de continuer ce sujet qui était trop douloureux pour elle.

Est-ce qu’elle y avait été un peu fort dans ses propos ? Pourtant c’était pas le but, clairement pas, Riley voulait juste lui faire comprendre qu’elle avait compris son besoin d’indépendance. Elle le comprenait même si c’était dur de voir sa petite sœur s’éloigner, c’était la vie sans doute, un truc qu’elle aurait pas vécu pareil si leurs vies s’étaient déroulées là où elles étaient nées, dans cette famille qui aurait dû les aimer et non les utiliser. Un soupir fila ses lèvres, un mince sourire s’y dessinant en l’écoutant parler. Stella pensait à elle, l’aînée le savait, évidemment qu’elle le savait. Une autre forme d’amour que celui qu’elle partageait, l’amour le vrai ou une amitié, c’était pas que Riley refusait d’y croire, c’était simplement qu’elle y croirait trop facilement, elle le savait, et elle souffrirait, elle le savait aussi. Comme à l’époque.

« J’en sais rien … je suppose que t’as raison dans le fond mais … » Mais, il y aurait toujours ce mais, ce truc qui l’empêchait de faire confiance, ce truc qui l’empêchait de se montrer vraiment, de s’ouvrir, parce qu’ici n’importe qui pouvait la livrer à Hyperion par appât du gain. N’importe qui avait le pouvoir de ruiner son existence et celle des personnes qui comptaient pour elle, simplement pour l’éridium qui parcourait sa peau. « Je te promets pas d’y arriver mais … j’essaierai au moins d’y penser. » souffla-t-elle dans un sourire, plus mature, moins femme-enfant, plus cette jeune femme qu’elle aurait dû être sans tous ces événements.

Grande sœur. Riley posa son regard clair sur Stella, logeant son bras à ses épaules, dans cette petite bulle où il y avait qu’elles, protégées, en sécurité, coupées du monde qui s’était jamais montré clément envers elles. La brunette laissa son regard se poser à nouveau dans le vide, un point invisible devant son nez, un peu plus loin que ses pieds. Riley en esquissa un sourire de l’entendre parler. « C’est pas con. C’est normal. » Normal de vouloir quitter le nid, normal de vouloir voir plus que les murs ternes et sales de Down-Town, vivre ailleurs que dans l’ombre de Sanctuary.

« C’est normal de vouloir … plus, Stella. » reprit-elle après les derniers mots de sa sœur. « La sécurité, le confort … même relatif, c’est rassurant, c’est … facile. Mais si on s’est enfuies, si on a survécu jusque-là, je sais qu’en un sens c’est pas pour rester terrées ici le reste de nos vies. » C’était paradoxal car c’était ce qu’elle faisait depuis des années, par peur que tout s’arrête, par peur du retour à Opportunity dans des conditions pires encore que celles de leur départ, par peur de la perdre elle. « J’vais avoir l’air d’une vieille mais … t’as encore cette naïveté, et me jette d’objet tranchant au visage, je dis ça avec tout l’amour du monde ma puce, je t’envie, et je veux pas que ça soit un frein à tout ce que tu voudrais et pourrais faire. Parce que j’en suis persuadée, Stella Ainsworth fera de grandes choses. » Dans un sourire, Riley vint poser sa main sur la joue de sa petite sœur. « Et puisque tu t’en inquiètes, alors j’essaierai de … retrouver cette naïveté. Pas trop non plus. » Elle ferait l’effort, tenterait de trouver une personne de confiance, quelqu’un auprès de qui elle pourrait être elle-même, quelqu’un qui serait pas Stella pour que celle-ci puisse déployer ses ailes, loin de l’ombre de sa sœur. « Tu restes quand même ma number one. » ajouta-t-elle dans un éclat de rire.