Cleopatra, Cleo. C’est un joli prénom, tu ne penses pas ?

Cette phrase, simple, elle ne l’a jamais entendue, et pour cause, elle était bien trop petite lorsque les Wyman l’ont trouvée, abandonnée sur le seuil d’une vieille église en ruines non loin de Safe Haven qu’ils venaient explorer. Ils arrivaient à peine sur Pandore, ils débarquaient, découvraient cette étrange planète, ses légendes, son folklore, ses défis, ses enjeux, ce qui faisait de cet endroit un monde aussi merveilleux que dangereux. Et à eux, ce couple d'une petite quarantaine d'années sans enfant, ce monde venait de faire le cadeau d’un magnifique bébé à la tignasse brune. Ce fut parce que sa mère, Layla Wyman, était une férue de très ancienne histoire de l’humanité qu’elle décida de nommer ce bébé Cleopatra. Parce qu'elle savait que comme la première de ce nom, elle ferait de grandes choses, leur petit miracle.

Tu feras de grandes choses Cleopatra.

Cette phrase, toute aussi simple et pourtant lourde de sens, Cleo s’en rappelle d’avantage. Elle avait une petite dizaine d’années, peut-être neuf, lorsque son père, Wilbur Wyman, la lui souffla pour la première fois. Déjà neuf années qu’elle vivait avec eux, grandissait avec eux, partout, nulle part, toujours sur les routes qui menaient à des découvertes, mais le plus souvent à des recherches, des fouilles. Cleo aimait cette vie, puisque de toute manière elle ne connaissait que celle-là, et elle aimait ses parents qui n’avaient jamais cherché à lui cacher qu’elle n’était pas née d’eux. Cela se voyait facilement, ils étaient tous deux blonds comme les blés, elle était brune comme la terre charbonneuse de certaines régions de Pandore. Leur peau était pâle quand la sienne avait ce doux teint caramel dès qu'elle s'exposait au soleil. Les Wyman lui avaient appris à lire, et surtout ils lui avaient appris l'amour de la lecture. Ils lui avaient appris à écrire et ils lui avaient appris l'art du catalogage. Chaque chose à sa place.

T’es pas ma sœur, mais t’es pas sœur Cleo.

La voix de son frère encore claire dans son esprit, pourtant ils ne s’étaient pas vus depuis un long moment, chacun occupé à sa vie. Sa façon de voir le monde. Dix ans de plus qu’elle, pas plus d’eux qu’elle-même ne l'était, il avait été recueilli lui aussi. Un autre enfant perdu, abandonné, un enfant à aimer comme il y en avait tant sur cette planète où les conflits de pouvoir faisaient la part belle aux dangereuses quêtes de renommée. Elle avait deux ans lorsque les Wyman l'avaient trouvé, il en avait douze et il était fougueux, colérique. Mais il l’a prise sous son aile, comme une raison de vivre, un sens à son existence. Ptolémée qu’elle l’appelait, pour s’amuser de leur parenté, pour s’amuser de son prénom, pour l’embêter car il n’aimait pas cela. Si elle était le cerveau, il était les muscles. Si elle était la candeur et l’innocence, il était le trouble qui réside entre chaque être vivant. Pas assez pour les séparer de façon irrémédiable, mais assez pour qu’ils choisissent tous deux d’appliquer tout ce que leurs parents leur avaient appris de façon différente. Il est parti offrir ses services à ceux qui en avaient le besoin, elle s’est fait une mission de rassembler toutes les connaissances du monde. C’était il y a cinq ans, et depuis il n’a cessé de lui manquer mais par fierté, Cleopatra trace sa route seule jusqu’à le retrouver, quand la vie le voudra.

Prends soin de tout cela, d’accord ?

La dernière phrase de sa mère lorsqu’elle avait pris ce vaisseau pour Elpis avec son père. Les Wyman sont partis, comme ils étaient arrivés, ou presque. Ils ont partis le cœur lourd de la laisser là, de laisser son frère sans lui avoir dit au revoir. Mais ils sont partis le cœur léger de la savoir si débrouillarde, promise à tant. Ils lui ont laissé cette roulotte, ils lui ont laissé des années de recherches sur Pandore sous forme d’enregistreurs ECHO. C’était il y a un an, quatre ans après que son frère l’ait laissée, ce sont ses parents qui ont décidé de poursuivre leur route. Mais Cleopatra ne leur en veut pas car elle sait mener sa barque, parce qu’ils lui ont tous appris ce qu’elle avait besoin de savoir pour vivre, survivre, découvrir, et faire de Pandore son propre terrain de jeu. Sa spécialité. Son univers.

Il n'est pas rare depuis de la voir au volant de sa roulotte en piteux état, elle marchande réparations, carburant et nourriture contre des cours, des informations, sur des lieux, sur des individus. Cleopatra ne prend pas part à cette guerre entre Hyperion et les rebelles, une guerre qu'elle juge triviale, tellement éloignée de ce qui compte vraiment. Car ce qui compte vraiment réside encore dans une arche, quelque part dans ce vaste univers, le secret et la réponse à toutes les questions jamais posées. Peut-être même leur salvation.