Safe Haven – Début mars x232

C’était ce genre de trucs qui pouvait pas arriver, le genre de situation merdique à souhait qu’il avait passé sa vie à croire n’arrivant qu’aux autres. Même la voix d’con dans son crâne en restait muette, plus personne qui lui dire quoi faire, quoi dire. Il avait juste ramené son corps à Patsy, la gueule défaite, la gueule en sang. Le cœur en miettes. Ca tambourinait dans son crâne au lieu d’y avoir cette putain de voix qui l’enfonçait quand ça allait pas et le faisait marrer quand il était déjà joyeux. Donovan avait tout perdu aujourd’hui, quand il l’avait perdue elle, et déjà seulement penser à son prénom, c’était trop difficile.

Ils l’avaient mise en terre, pour lui dire au revoir. Par respect. Par devoir. Parce que c’était c’qu’on faisait. Et lui, tout ce qu’il avait envie de faire, c’était tout casser, boire tous les alcools qu’il trouverait, et tout casser encore, puis boire à nouveau. Et ainsi de suite, jusqu’à trouver la pétasse qui l’ avait tuée. Au pire, crever en essayant de la retrouver parce que comme ça, il la retrouverait elle. Mais Donovan était pas si con, s’il y avait bien un Après, Paradis ou Enfer, lui et elle, ils iraient pas au même endroit, il méritait pas ce meilleur après, pas quand il avait lamentablement échoué sa mission de la protéger.

Occupé à jeter un vieux sac de voyage et ce qu’il fallait de munitions pour son arme, pour quelques semaines, Donovan entendit du bruit derrière lui. Clope au bec, le tatoué se tourna même pas, continuant de ranger tout ça dans le coffre de sa vieille guimbarde. C’était pas Red dont il aurait reconnu le pas particulier à cause de sa prothèse, mais c’était sans doute une de ses ouailles. « Si Patsy t’envoie pour m’convaincre d’rester, j’ai pas envie d’en r’discuter. C’pas mon genre d’rester le cul là à rien foutre pendant … » Pendant quoi ? Ah tiens, v’là qu’l’autre emmerdeur dans son crâne s’y remettait. « Bref, ma décision est prise. J’me barre et j’reviendrai un jour. » Sauf s’il passait l’arme à gauche, là il reviendrait pas, du moins pas d’lui-même. Mais ça, à ce moment-là il s’en raclerait l’anus sur le macadam. Pas Patsy, ni les autres, tu l’sais ça ? Le savoir, oui, s’en soucier, non.

Le coffre de la bagnole claqua, l’air souffla quelques cendres de sa clope avant qu’il se tourne pour faire face à Raina. Bah tiens. La veuve éplorée allait lui faire un discours sur l’importance du deuil ?

C'est bien de partir, ça fait du bien. Tiens, ça, c’était étonnant. Il s’attendait à ce qu’on le retienne. A moins que ça soit une technique de fourbe, du genre psychologie inversée. Elle s’attendait à ce qu’il change d’avis et reste parce qu’elle lui disait de partir ? Le tatoué secoua doucement la tête avant de s’appuyer contre le capot de sa vieille caisse qui un peu comme lui à l’instant, tombait en ruines. Quand il y repensait, Raina elle le comprenait sans doute, parce qu’elle avait tout et qu’elle avait tout perdu. Sans doute c’était mieux d’être seul finalement, moins de risque. Seul il pourrait aller tenter de meuler la face de Ray L’Injuste sans rien craindre d’autre que de mourir. Et mourir quand on laissait personne, ça foutait quoi ? T’as un fils, juste comme ça, même si c’est pas la relation idéale. Ah ouais merde.

Du bout des doigts, il récupéra le petit papier auquel il jeta un coup d’œil. « Sérieux, t’m’envoies dans un bordel ? » Too soon ? Légèrement. Mais Lockhart s’expliqua, un genre de refuge. Dans un haussement d’épaules il fourra le papier dans la poche de son jean avant de tirer une bouffée sur sa clope.

« J’ai pas d’plan d’route … j’crois … j’veux juste conduire, droit devant … enfin pas dans l’décors, j’te rassure j’suis pas encore suicidaire. » Non, parce qu’il avait une mission. Débusquer et dégommer la connasse qui avait commis le pire crime qui soit. Ray faisait pale figure à côté de cette foutue rousse. « Mais si t’as des endroits qui valent l’coup pour que j’puisse me défouler, j’suis pas contre un petit guide du routard amélioré. » Clairement pas, au contraire, ça l’occuperait un peu de casser des bouches. Ça le détournerait sans doute de la douleur. Ça lui donnerait un but sur lequel canaliser sa colère.

Bah, ça tombe bien, j'ai l'endroit parfait. Donovan soupira, évidemment, fallait bien qu’elle ait l’endroit parfait, et évidemment, il savait c’que ça voulait dire. C’était trop beau qu’Raina le laisse juste partir comme ça, sans demander son reste, sans l’emmerder un peu. Toujours appuyé à la bagnole, il la regarda qui faisait le tour pour aller s’installer fauteuil passager. A moins d’la jeter hors de là, t’vas devoir te la coltiner. C’était pas ça qui l’emmerdait, c’était surtout que cette place dans la bagnole, depuis des années, ça avait été la sienne. Un soupir plus fort fila ses lèvres, le tatoué tira une dernière bouffée sur sa clope qu’il jeta finalement par terre pour l’écraser de la semelle de ses pompes.

La portière conducteur grinça après qu’il ait collé son cul sur le siège devant le volant. Son regard gris se posa sur Lockhart. « Sérieusement ? » Elle voulait vraiment lui proposer une mission castagne pour récupérer un objet cher à son cœur sans doute ? « Ouais j’me rappelle, on va récupérer ton merdier, et j’trace ma route. » Saisissant les clés, il la glissa dans le contact pour faire ronronner le moteur, enfin crachoter, parce que cette vieille rogne avait, comme lui, connu des jours meilleurs. Mais elle roulait encore, comme lui.

Silencieux, le regard sur la route, Donovan roula jusqu’au fameux bled. Repaire de trous du cul notoires, une espèce de village qui tenait davantage du camp de bandits fortifiés, avec les moyens du bord. « C’sympa comme coin. » Très accueillant, surtout les cadavres séchés depuis un bail qui pendaient au-dessus de ce qui servait d’entrée. Plus sûr de laisser la caisse en dehors de ce merdier notoire, aussi Donovan la gara et coupa le moteur à quelques mètres du village. « J’te suis. J’te laisse causer aussi. » Il était là pourquoi ? Pour cogner, ça serait toujours ça d’pris. Son fusil était dans la caisse, ici, le revolver et ses poings feraient l’affaire, très largement. Ça serait même mieux pour passer sa colère.

Dans le genre village de vacances pour dégénérés et autres ravagés du bulbe, ce village s’posait là. La déco en jetait un max, Donnie en aurait presque eu des frissons partout si l’odeur qui régnait dans chaque recoin de ce bled paumé lui donnait pas envie de se planter une clope allumée dans chaque narine pour l’oublier. Pas sûr que c’soit très bon pour toi d’faire ça, r’marque t’es déjà con et assuré de crever jeune donc ça changera pas grand-chose. Commentaires de ce qu’il lui restait de conscience mis à part, cette petite mission déchaussage de dents avec Raina se déroulait pour l’instant bien.

Ils croisèrent deux ou trois péquenauds déjà levés malgré l’heure très matinale, les premiers rayons assez agressifs commençaient déjà à pointer leur nez. Donovan laissa ses lunettes dans la poche de sa veste, il en avait pas besoin pour l’instant. T’es sûr ? Vous auriez la classe à débarquer à deux avec des lunettes de soleil, genre Men in black, enfin Man & Woman in black. C’était pas faux ça, allez, il pouvait bien s’faire ce petit plaisir avant de disparaître de la surface de Pandore pour tous ceux qui le connaissaient. Donnie récupéra les lunettes qu’il cala sur son nez, suivant Lockhart jusqu’à la boutique de ce prêteur sur gage.

L’endroit, il fallait s’y attendre, était aussi miteux que le reste du bled. Ca fleurait pas bon la lavande et la rosée du matin, et comme fallait s’y attendre de la part d’une arnaqueuse, la patronne se montra virulente dès leur arrivée. Le tatoué esquissa un sourire, retirant ses lunettes pour les ranger dans sa poche et s’appuyer contre l’embrasure de la porte, observant la scène. Négociation, provocation, et la réaction que Raina avait sans doute anticipé, du bordel qui se ramenait depuis l’arrière-boutique. « J’vous laisse continuer les négociations entre gentes demoiselles, moi j’vais m’assurer qu’on vous dérange pas. »

Harvey récupéra la première merde qu’il trouva sur une étagère, un genre de casserole sans doute en fonte vu le poids et se plaça devant la porte. Le bruit des pas se rapprocha, avec eux le souffle court d’un gars trop lourdaud pour toutes ces conneries. Il passa à peine la porte que le brun lui fit voir des milliards de jolies chandelles d’un grand coup de casserole dans sa tronche. Une ou deux dents volèrent, peut-être trois ou quatre, pas le temps de les compter, Jean-Michel tentait d’arrêter le sang qui s’écoulait de son nez avant de tourner sur lui-même pour finir au sol que déjà son poto Jean-Louis se ramenait. « Tu veux tâter d’ma casserole toi aussi ? Fais gaffe, j’suis un super cuisinier. » Ouais, elle avait raison Raina, même si elle avait trop rien dit à part lui avoir demandé son aide, ça défoulait, ça faisait du bien. A défaut de pouvoir réduire en cendres la pute rousse qui l’avait tuée, il pouvait cogner ces abrutis pendant que Lockhart récupérait  son bien.

BAM ! Nouveau coup de casserole dans la tronche d’un de ces gusses qui voulaient mettre un terme aux négociations entreprises par Raina. Ca s’faisait pas, merde. Ou alors Jean-Louis avait envie de se faire refaire le portrait comme son pote. Les deux sonnés, visiblement d’autres types se ramenèrent, parfait, ils y étaient pour rien dans le tas de merde qui s’était abattu sur sa gueule mais pour Donovan c’était une aubaine ; ici, à cet instant, il allait pouvoir passer sa colère sur ces loustics. Raina était une grande fille, elle avait pas besoin qu’il la protège. Elle non plus en avait pas besoin, qu’tu croyais. Le tatoué fit tournoyer la poêle dans sa main avant de l’abattre sur un troisième gars qui se ramenait.

« J’vous ai dit de laisser les dames causer entre elles, c’est quoi que vous comprenez pas exactement hein ? » Le quatrième larron marqua un temps d’arrêt. Quoi ? Il allait vraiment s’arrêter sous la menace ? Ça allait être si facile ? Si … nul. Lui il voulait cogner, déverser sur ces gars qu’il connaissait même pas la colère qui l’habitait depuis que cette pétasse rousse lui avait enlevé sa raison d’exister. Tant pis, s’il voulait pas avancer pour se faire casser la gueule, Donovan aurait qu’à se déplacer pour le faire.

Le tatoué avança donc dans la direction du gusse, retenu dans son mouvement par le premier Jean-Truc qui lui saisit la cheville. « Tiens t’es encore là toi ? » Prêt à lui coller un nouveau coup de fonte dans la tête, Donnie remarqua l’autre encore sur ses cannes qui courait vers lui. Merde, là ils allaient s’en donner à cœur joie les trous de balle. Intervention divine pour le moins inattendue mais néanmoins efficace, Harvey vit accourir un tonneau avec des jambes qui se fracassa contre le dernier des Jean-Bidules.

« Belle intervention. J’en déduis qu’t’as fini la négoce ? T’as récupéré ta merde ou faut qu’on fouille ? » C’est vrai quoi, à la base, ils étaient pas venus pour se foutre sur la tronche, quoique, mais pour récupérer ce qu’elle avait laissé ici en gage.

Ah elle savait, tant mieux, ça leur éviterait de fouiner dans toute cette merde. Parce que bon, Donnie était pas du genre ordonné, il était même complètement bordélique, dans sa vie, dans sa tête, partout, tout le temps. Mais là, son but premier était de se barrer, se barrer loin, et cette petite excursion avec la veuve le retardait sur son planning. Vrai que t’as de grands plans pour le futur qui peuvent pas attendre une heure ou deux. Oh que sa conscience la ferme, c’était pas le moment, il avait envie d’avoir l’avis de personne, pas même le sien d’avis.

Bras croisés, hésitant à s’allumer une nouvelle clope, le tatoué détailla Raina qui s’avançait vers une caisse de métal, enjambant les corps étalés par terre. C’était quand même une bonne baston. Il fronça les sourcils en la voyant récupérer un dessin, grossier dessin dont l’identité de l’artiste laissait peu de place au doute. Le soin que Lockhart apporta au rangement de l’objet lui confirma qu’il avait peut-être merdé en qualifiant l’objet de merde. Une grimace étira ses lèvres fines. Ouais t’viens de qualifier de merde un dessin sans doute fait par sa gamine morte. Présumée. Pour ce que ça changeait.

Sa belle-mère ? « Enchanté ? J’suppose … désolé pour l’merdier, j’pensais pas qu’vous étiez d’la famille, façon d’parler. » Un vague grognement lui répondit, avant que Raina prenne la direction de la caisse. Donnie la suivit, relevant le nez vers elle en approchant de la vieille guimbarde. « Ça m’a permis de me défouler, mais toi comme moi on sait qu’c’est pas c’qu’il me faut, cogner sur les premiers abrutis qui passent. » Non y’avait qu’une seule personne qu’il voulait cogner.

« Pas d’autre idée mais … une question. Pourquoi c’ta belle-doche qu’avait l’dessin ? » Peut-être ça aurait été le moment de lui dire qu’il était sincèrement désolé pour le sort réservé à sa famille, mais après tout ce temps, qu’est-ce que ça changerait ? Pour le reste … « J’ai b’soin d’espace, quelques semaines, quelques mois … j’pense que toi tu comprendras pourquoi, Red c’pas dit qu’elle comprenne … elle risque de m’en vouloir alors … laisse-la m’mener la vie dure si ça l’aide à aller mieux d’son côté. » Parce qu’il le savait Donovan, il savait que Patsy allait en chier un max, parce qu’elle avait aussi perdu Joey, parce que lui se barrait. « Et si j’ai b’soin d’défoncer un tonneau ou deux alors … j’te ferai signe. » C’était ça aussi, la rébellion.