Sanctuary, je me souviens pas de ce à quoi ça ressemblait à l'époque, sûrement car j'étais qu'un bébé en X202, mais il parait que ça a pas trop changé, uhm, je crois pas les gens sur parole mais bon disons que là, savoir si les arbres artificiels sont les mêmes que y a vingt neuf ans, c'est pas très important. Enfin, je suis revenue ici pour voir du pays, oui parce que j'y ai passé ma petite enfance, que mes parents, qui bossaient tous les deux dans le spectacle, dans cette salle là, devant moi qui elle me semble ne plus être la même, m'ont éduquée, appris leur métier et enseignée des tas de choses. Si j'ai été à l'école ? Non, parce que dans une famille comme la mienne on se fait pas sur les bancs d'une institution, mais en vivant les choses comme elles viennent. C'est ma mère qui m'a appris à lire, et à écrire, c'est mon père qui m'a appris à rire et à ressentir et, davantage, à me tenir sur une scène sans faire mourir d'ennuie l'assistance.

Déjà toute petite j'adorais les paillettes, les couleurs flashy, les costumes de scène, tout ce qui avait un rapport avec les spectacle parce que, oui, je suis fantasque et rêveuse et que si j'avais un vœux ce serait que l'existence soit toujours aussi belle que sur scène quand on fait le show. Enfin, c'était chouette, j'ai pas eu de sœur ni de frère mais j'étais heureuse dans ma petite bulle puis... La salle a fermé, enfin elle a été rachetée par un nouveau proprio et disons qu'il avait pas pour projet de la garder en l'état. J'avais dix ans si je dis pas n'importe quoi, et nous sommes partis de cette ville, on a quitté la capitale sans être sûrs de rien sinon de l'amour qu'on se portait tous.

Durant quelques mois on a fait du spectacle itinérant, on gagnait pas des masses mais c'est là qu'on a rencontré le papa de Eliza Thomas. Il était sympa lui, et que dire d'elle en fait ? Bha en gros si j'avais pas de sœur, que j'en avais voulu une, je pouvais sûrement pas mieux tomber que sur elle. Son père avait un casino à Palm Springs, et après quelques essais et discussion, mes parents ont été engagés chez lui. C'était chouette, je pouvais passer du temps avec Eliza, elle m'apprenait des trucs et moi réciproquement, enfin ça c'était quand on était jeunes, quand on avait pas de garçons dans la tête parce que, quelques temps plus tard, peut-être quand j'avais 12 ans, c'est là que les Saddler on débarqué et que j'ai vu Benjamin pour la première fois. Bon ils vivaient déjà là, je connaissais Adam mais, j'avais jamais vu Benjamin encore. Ahhhh Benji, les yeux bleus, les cheveux bruns, il était un peu plus vieux que moi mais qu'est ce qu'il était beau... Eliza, elle, c'était Adam qu'elle aimait bien, le plus âgé des deux. Enfin c'était pas grave, j'avais Benjamin, enfin même s'il le savait pas dans ma tête c'était comme ça, j'étais à lui même s'il était pas à moi.

Quinze ans, ça avait pas changé, j'étais très amoureuse de lui, vraiment, il me faisait rire, sourire. Il venait souvent voir mes premiers show, mes stand-up ou je racontais ce que je vivais, ou parfois je chantais aussi. Quand il me regardait, j'avais l'impression d'être une étoile, pas une star non, une étoile vraiment. A cette époque j'ai travaillé un peu plus, mon père me tenait pour assistante etc, mais quand le papa de Eliza est décédé là, ça a été plus difficile. Ma mère et mon père sont restés pour soutenir la fille Thomas, mais j'avais pas compris qu'ils avaient dans l'idée de repartir, sur les routes, et qu'ils me poussaient au cul pour me produire afin de perdurer ici, sans eux. C'est arrivé un jour, ils ont embrassé Eliza et ont repris la route, je devais avoir vingt trois ans, Je les vois de temps en temps, ils sont jamais au même endroit alors, on s'appelle plus souvent qu'on se rencontre depuis.

Evidemment je me suis raccrochée encore plus à Benji, à Eliza, à Adam et toute cette famille qui n'était pourtant pas de mon sang. Tout allait bien dans le meilleur des mondes, je voyais Eliza heureuse avec Adam qui, lui aussi l'aimait, ils avaient même des enfants, que demander de plus alors ? Certainement pas que Bejamin s'enrôle dans la rébellion, ha ça non. Quand je l'ai appris j'ai ri, parce que j'ai cru qu'il me faisait marcher mais non, c'était très sérieux, et autant j'ai eu peur pour lui même si j'en ai jamais rien dit, autant son frère lui s'est vraiment collé en pétard. Mais bon, il allait sans doute jamais rien lui arriver, hein ? Il pouvait rien lui arriver à Benjamin.

Puis, les années ont passées, les choses se sont tassées entre les deux frères mais pourtant, au moment où Adam semblait enfin accepter ça, c'est là que c'est arrivé. La pire chose de ma vie, j'ai cru qu'on m'arrachait le cœur, qu'on me le piétinait, qu'il battrait plus jamais sans doute. J'sais bien que c'est psychique cette douleur, qu'elle a rien de physique mais c'est quand même là. J'ai pas pleuré, pourtant je sentais les larmes brûler ma gorge. Quand Benji est mort, Adam a déraillé et moi je me suis mise à sourire, pour tout, pour rien, c'était comme si je portais mon masque de scène en permanence pour ne rien montrer. Comme si, ce fameux jour y a plus d'un an, on m'avait tuée là, comme si il avait embarqué tout ce que j'avais pas su lui dire, ou lui montrer, ni même lui avouer ou lui donner, avec lui en m'abandonnant ici, toute seule avec mes sourires, toute seule mais, malgré tout, entourée par cette nouvelle famille.

Alors faut pas trop me parler de la rébellion, j'ai du mal avec eux, parce que je les tiens pour responsables, parce que sans ça il serait encore là. Mais je sais me tenir, si je croise des rebelles je ne vais pas me taire, non, je vais jouer la curiosité, pour en savoir plus, pour comprendre, et je ferai la même chose pour ceux qu'ils détestent, ceux de la firme qui, jusqu'ici, ne m'ont jamais chagriné. J'aime les gens pour ce qu'ils sont, pas pour leur métier ou appartenance, c'est peut-être crédule mais, je suis comme ça et c'est comme ça que je fais.

Pfff, je sais pas trop ce que je fais ici, à Sanctuary, devant la vieille salle où mes parents se produisaient, peut-être que je voulais en savoir plus sur l'Archange, sur le mal qu'elle a fait à des gens qui, tout comme moi, Adam et Eliza, ont vu disparaître des personnes qu'ils aimaient pour une guerre dont on sait pas grand chose, ou si, une guerre qui existe juste car deux, voire trois clans, savent pas se piffrer, enfin c'est comme ça que je le vois surtout. C'est pathétique non ? Oui ça l'est, surement autant que moi qui n'ai plus qu'à rentrer après avoir remué le passé et à sourire, encore et encore, pour faire croire que tout va bien dans la vie et le cœur brisé de Faye Collins.