Born this way, baby

La pluie tombait sur Meridien quand j’ai vu le jour, en x202, les gouttes en reflétaient la lumière de chaque néon, notamment celui qui pendait au-dessus de la chambre qu’occupait ma mère. Elle vivait seule, ma mère, indépendante, mal avisée en matière de relations, elle n’avait pas su garder mon père mais si vous voulez savoir ça ne m’a jamais manqué. Aucun complexe à ce niveau-là, aucun traumatisme. D’autant que même si je n’avais pas de précieux papa, j’avais une maman d’enfer. Elle travaillait dur, elle m’aimait beaucoup. Le temps que l’on ne pouvait pas passer ensemble, celui où j’étais confiée à toutes les bonnes-femmes de cette barre d’immeuble, on le compensait par des moments rien qu’à nous, des moments où je traçais sur sa peau des arabesques ridicules en rimmel et autres fards à paupières, des moments où elle me chantait les plus belles de berceuses, me contait les plus épiques de contes. Mon enfance, elle était parfaite, à son image. Ma mère, Layla, jeune femme débarquée sur Prométhée depuis quelques années, originaire de Pandore, cette planète dont elle me parlait parfois. C’était parfait … jusqu’à ce que ça ne le soit plus.

J’avais treize ans, en x215, quand le sort me l’a arrachée. Ma mère est morte comme malheureusement trop de personnes dans ce monde, dégât collatéral dans une stupide guerre de gangs dans les quartiers pauvres de Meridien. Les bonnes femmes à qui elle me confiait m’ont gardée sous leur aile, elles veillaient sur moi, s’assuraient que j’ai de quoi manger, puis quand j’ai été assez grande, sans doute quelques mois à peine après la mort de maman, j’ai trouvé un travail. Je voulais les remercier à toutes ces personnes qui avaient pris soin de moi. Serveuse dans un bar, ça ne payait pas de mine en soi, mais ça rapportait assez d’argent pour que je puisse donner un peu de ce que je gagnais à ces personnes qui avaient pris le relai de ma mère. Et puis finalement, c’est moi qui ai pris son relai. En x218, j’ai trouvé un deuxième boulot, de serveuse toujours, mais dans un cabaret. Et chaque soir devant ce même miroir, c’était sur mes yeux, sur mes joues et sur mes lèvres que j’étalais un maquillage tantôt grotesque tantôt séduisant. Je me noyais dans la masse, je ramassais un peu plus d’argent encore parce que j’étais mignonne. Mais je n’étais pas aussi belles qu’elles, toutes les danseuses de la revue. Alors j’ai attendu encore un peu et finalement en x220, après quelques efforts, quelques heures supplémentaires pour m’entrainer à la danse, j’ai réussi à l’intégrer la revue.

Le temps passa. Les années filèrent, quatre d’abord, jusqu’à ce que je ne prenne la tête de la revue. C’était moi la meneuse, toutes les filles faisaient presque pâle figure à côté de moi mais je savais les mettre en valeur. Chaque soir, le cabaret était complet, les crédits et l’alcool coulaient à flot. J’étais belle, j’étais adulée, j’étais aimée presque autant que je l’avais été quand maman était encore là.

'Cause he made you perfect, babe

Arriva finalement cette année qui changea ma vie, magnifique changement, changement imprévu. Il s’appelait Ilyas, c’était un client du cabaret et après un verre ou deux, quelques mots échangés, et après une nuit que nous voulions sans conséquence, la plus belle des conséquences s’imposa à moi quelques semaines après. Neuf mois plus tard, la plus belle des petites filles voyait le jour, me faisant oublier que ma beauté risquait de se faner, que devenir mère changeait une femme. Elle me sublimerait. Je décidai de l’appeler Layla, en hommage à ma mère. Logique et poétique.

Layla avait quatre ans, en x229, quand notre situation dérapa. J’étais devenue assez célèbre dans Meridien, il arrivait que certains grands pontes d’Atlas ou d’autres corporations, de passage dans la capitale prométhéenne, me réservent des shows privés. A chaque spectacle que je faisais, c’était les filles de la revue qui surveillaient Layla à tour de rôle, notre mécanique était rôdée, la machine tournait bien. Mais ce soir-là un grain de sable vint se glisser dans l’engrenage. Ce bon vieux Al’ profitait d’une danse charmeuse lorsqu’un groupe fit irruption dans l’arrière-salle du cabaret, repoussée sur le côté, rapidement cachée dans une alcôve qui servait parfois aux agents de sécurité, j’assistai impuissante à l’assassinat de mon client. J’aurais pu naïvement croire qu’ils ne m’avaient pas vue, que ma vie serait sauve, mais qui qu’ils fussent, ils savaient. Les menaces de mort que je reçus furent la goutte de trop qui me poussa à prendre une décision qui précipita peut-être la suite de mon existence.

Layla et moi fûmes contraintes de quitter Prométhée, et ironiquement, ce fut près de cet homme qui n’avait partagé qu’une des nombreuses nuits de mon existence que j’allai demander de l’aide. Je ne savais pas qu’il faisait partie de ce groupe, Ilyas nous aida à quitter Prométhée pour Athenas, assisté par ses compagnons d’armes dont Liam. Je changeai de nom, quittant le nom de ma mère pour un nom sans rapport aucun avec ma vie passée. Je n’étais plus personne là-bas, parce que j’avais mon honneur, je réalisais quelques petites tâches pour les Rakks blancs. J’usais de mes talents pour le maquillage, pour les accoutrements tellement visibles qu’ils en devenaient trop évidents pour quelqu’un qui se cachait, et puis de la danse pour trouver de petits boulots. C’était moins reluisant que le cabaret et souvent je fus forcée d’user de ma dague pour repousser quelques clients aux mains trop baladeuses. Mais la vie retrouvait son cours presque normal, presque, car ici je n’étais personne.

Et ces techniques que ma mère utilisait pour s’assurer que j’allais bien, que je n’étais jamais seule, je les appliquais aussi avec Layla. Lorsque je travaillais, je la confiais aux personnes qui habitaient le même bâtiment, nous étions tous des parias dans cette zone-là d’Athenas alors ce n’était pas difficile. Ma dette envers les Rakks payée, je me concentrai sur ma carrière à moi, mon envie de redevenir quelqu’un. Sans doute cela qui me perdit, qui me fit la perdre …

And what about our future plans?

C’était il y a quelques mois à peine, au début de l’année x232, nous venions de fêter l’anniversaire de Layla. Ce soir-là j’avais accepté de travailler toute la nuit, une grosse somme d’argent à la clé, et pas mal de têtes influentes sur Athenas, Prométhée, Pandore même. Un coup de maître pour me faire connaître, redevenir celle que le monde, au moins une partie du monde, adulerait. Je n’étais pas chez moi ce soir-là. Je n’étais pas là quand ils firent irruption dans le bâtiment. Je n’étais pas là quand ils frappèrent à toutes les portes pour assassiner dans la plus grande indifférence chacun des habitants. Je n’étais pas là non plus quand ils tuèrent ma petite fille. Je n’étais pas là quand ils mirent le feu au bâtiment. Et tout ce que je pus faire ce fut de constater mon existence réduite en cendres.

Je faillis me laisser mourir là, face au désastre, face à l’absence de sens à ma vie. J’avais été bête de croire que ma vie se résumait à la scène, à la fascination que le public pouvait ressentir pour moi. J’avais été bête, vaniteuse, et là se trouvait ma punition. Mais je décidai de ne pas me laisser mourir. Athenas n’était plus sûre pour moi et faible que j’étais, je ne voulais pas mourir. Alors je pris la fuite une nouvelle fois, seule cette fois, sans l’aide de personne, direction Pandore. Aux dernières nouvelles, c’était là-bas que se rendaient les Rakks blancs. Je n’avais plus qu’à retrouver leurs traces, les retrouver et avoir recours à leurs services pour retrouver ceux qui m’avaient ôté ma fille. J’étais détruite, mais je n’en montrais rien. Je n’en montrerai jamais rien.