D'aussi loin que mes souvenirs me le permettent, je me souviens que nous avons toujours habités dans le quartier de Down Town. Je crois que ma mémoire a voulu effacer ces quelques années de ma 'vie'.
Je ne me souviens que nous logions dans une tanière, une sorte de taudis dont le sol n'était que poussière et où les murs qui nous protégeaient étaient recouverts de plaques de cuivres rouillés qui gardaient la chaleur en été et laissaient rentrer les courants glacials de l'hiver.

Je passais mes journées dehors, c'est simple, le but était de ne jamais rentrer chez moi.
Ce quartier me donnait envie de vomir, tout y était répugnant autant l'odeur de déchets permanent que le sol collant des restes d'alcools renversés. Ça ne donne pas envie n'est ce pas ? Et pourtant c'est là que je me sentais le plus en sécurité. Dans la foule, cette masse compacte je pouvais vivre cacher, me faufiler entre deux personnes. Tout le monde me connaissait pour ma discrétion. Les stéréotypes vous feront penser que je m'amusais à voler parce que mon père et moi n'avions rien mais dans un endroit comme celui-ci on laisse les gens tranquilles et on se débrouille soi-même. Qu'est ce que vous vouliez que je vole de toute façon ? Des seringues ? Des bouteilles de gnôles ? Très peu pour moi...même si j'ai désormais les moyens de m'arracher la gueule de temps en temps (bon d'accord souvent) dans la tête d'un enfant de 11 ans ce n'est pas la priorité.

Enfin bref, je ne voulais pas rentrer chez moi, c'est à ce moment là que vous pouvez sortir les violons et que je vous explique le pourquoi du comment.
Il me semble que c'était le jour de mes treize ans, avant ce jour là je ne trainais pas autant dehors. J'ai retrouvé mon père recroquevillé sur un vieux cadre photo. Je l'entendais gémir pitoyablement en boucle le prénom de ma mère "Joy, Joy tu me manques tellement", "Joy pourquoi t'es partie". Peut être parce que tu étais un gros bouffon dangereux Frank ? Ceci dit tu aurais pu m'emporter avec toi Joy, ou peut être que je ressemblais trop à papa ?
Il avait relevé sa tête , ses joues rougies et irritées par les larmes qu'il avait versées, s'était tourné vers moi et m'avait crié le nom de ma mère, encore une fois. Frank avait levé son corps squelettique et m'avait empoigné par le t-shirt sale que je portais ce jour-là pour me foutre à terre et me rouer de coup de pieds. On aurait pas dit qu'il avait autant de force Frank mais c'était qu'il m'avait laissé après ça de gros bleus et je crois même bien une côte fêlée.

Après cet incident Frank a commencé à perdre encore plus les pédales et à me foutre encore plus les pétoches, je ne l'ai jamais connu souriant ni même chaleureux et voilà qu'il avait commencé à me lancer des regards insistants, des sourires un peu bizarres mais toujours silencieux. Il a recommencé à travailler, au début j'étais satisfait, je commençais à apercevoir une lueur d'espoir dans ce trou à rats, me disant que peut être qu'il allait reprendre nos deux vies en mains. Et quelle ne fut pas ma surprise lorsque je l'ai vu arriver un beau jour avec une robe dans les mains, tout souriant de sa trouvaille : « Regarde Joy ce que j'ai réussi à te trouver ! », s'était-il exclamer.
Maintenant il me genrait au féminin, ne voulait plus que je porte des vêtements trop masculins, ce n'était plus simplement m'appeler par son prénom il me prenait carrément pour elle. Pendant un temps lorsque nous avions retrouvé un rythme de vie assez commun, il se posait sur un de nos petits coussins de sol et me demander de chanter. Pour information ce n'était pas par hasard, Joy aimait nous chanter quelques airs le soir, ses cordes vocales pouvaient réchauffer une pièce entière. C'était bien le seul truc agréable que m'obliger à faire mon géniteur, j'avais apparemment hérité des talents de ma mère  car il finissait par s'endormir au son de ma voix.

Les rumeurs se sont vite répandues dans les rues de Down Town et j'avais hérité de tous les surnoms inimaginables et très peu raffinés "petite pédale", "tarlouze", "tapette", et j'en passe. À partir de dix-sept ans, comme un déclic j'ai décidé de retenir chaque personne qui me crachait aux visages. Dans ce monde c'est manger ou être manger et après dix-sept ans d'existence je voulais trouver un sens à ma vie. Que ça soit bon ou mauvais j'en avais plus rien à foutre, je voulais reprendre ce qu'on m'avait volé.
J'ai commencé à m'investir dans le trafic d'armes, des affaires pas très nettes mais bon ce qui rapporte de l'argent rapporte de l'argent, n'est-ce pas ? J'ai commencé à moi même en acheter, la froideur des glocks ne me convenait pas je voulais quelque chose qui vous tue lentement sans laisser de trace. J'avais encore en tête tous les noms, ils allaient être mes terrains d'entrainement et un peu plus tard mes terrains de jeux.

J'ai quitté Down Town à l'âge de vingt ans, l'âge où j'ai pu me payer mon premier costume. Dans les rues on voulait que je parte, bon nombre de parents ont pleuré la disparition de leurs enfants. Jamais on ne retrouvait les corps mais tous savait que Allan était dans le coup. "la Faucheuse" comme ils aimaient m'appeler, j'ai des frissons d'extase rien qu'à savoir que ce pseudonyme ait réussi à s'envoler jusqu'à Sanctuary. M'enfin j'ai pris toutes mes affaires, je savais que je commençais à avoir une réputation là haut, les gars avec qui je faisais affaires rapportaient mes actions apparemment.

Je suis partie, j'ai quitté ce quartier sale en laissant derrière moi un petit cadeau : le corps moisissant de mon géniteur au fin fond du puits de la place publique. Ma vie à Sanctuary n'a jamais aussi bien commencé, j'ai réussi à me dégotter un petit job, une couverture le temps que je me fasse une clientèle. De toute façon je n'allais pas rester là bien longtemps, en tant que tueur à gage je dois bouger assez souvent sinon ces chiens de l'ordre risquent de me coffrer. Ce qui fait que vous ne me trouverez jamais au même endroit pendant plus d'une semaine.

J'avais entendu en X215 le message : « Votre Ange gardien veille sur vous ». Quelle énorme blague. J'en avais rigolé amèrement à l'époque. Qui viendrait me sauver ? J'ignorais encore tout des agissements d'Hyperion, des soulèvements Rebels qui commençaient à gronder, et même si j'avais été au courant qu'est ce que ça aurait changé hein ? Ici aucun ange gardien n'a jamais veillé sur moi et maintenant je ne le regrette pas, les gens ne font plus appel à une quelconque entité imaginaire, non ils font appel à moi.
Je deviendrais votre ange gardien...contre une petite somme d'argent bien sûr.
Allan Joy Blake.