Quelques crédits roulèrent sur la table devant le pauvre hère qui les empocha d’un geste preste et rapace tandis que son visage aussi ridé que les montagnes, s’illuminait d’une lueur cupide.

« Il n’y a pas beaucoup de gens qui en connaissent aussi long sur Patsy que moi. Patsy Redmington. De son vrai nom Patricia ! Par toutes les vermines de Pandore ! Ses malheureux parents pensaient peut-être qu’elle finirait comme une gentille épouse. C’est vrai que Patricia, ça présente bien. Bref, ils croyaient sans doute à l’ascenseur social. Quand on voit que même les ascenseurs entre les différents niveaux de nos putains de cités ne fonctionnent que quand Hypérion a en envie…

Alors bien sûr, née à Safe Haven en X176, on pouvait espérer qu’un petit truc cool se serait penché sur le berceau de la gamine, mais déjà, atterrir dans cette famille de pauvres gens. Le père chasseur, chineur, la mère bien en peine avec ses quatre marmots et régulièrement absente avec son homme pour écouler la marchandise que le couple a réussi à se procurer. Dans la fratrie, que des pisseuses et Patricia est l’aînée… Dans cette cité où la survie est la principale préoccupation, même si les conflits avec Hypérions sont un peu éloignés, pas besoin d’être devin pour comprendre que très vite, elle doit s’occuper de tout dans la maison.

Quand je dis de la maison je veux dire cet amas de tôle que le père parvient tant bien que mal à maintenir en état de suivre la caravane de marchand dont ils font partie. De toute façon, pas trop le choix, en cas d’attaque, une barge isolée n’a plus qu’à compter des abatis. Que ce soit torcher le cul de ses cadets, faire tourner la maison et même à l’occasion accompagner son père dans ses raids, la petite donne de sa personne et reste plutôt chétive d’apparence, malgré une endurance komas. On se demande comment elle a eu le temps d’apprendre à lire et à compter. De ce que je sais c’est sa mère qui lui a appris. A mon avis cette bonne femme, elle était pas de la fange. Mais ça, ça fait partie du mystère Patsy. Compter c’est facile. Quand on est au crédit près, faut savoir ajouter et soustraire. Surtout soustraire. Bref de là, pas la peine d’essayer d’entuber la Red, elle sait bien vous dénicher les petits caractères qui vous mettent dans la merde, et je sais de quoi je parle.

Et puis, vous savez ce que c’est, les gamines obéissantes et sèches comme une brindille se mettent à prendre du gras là où les mecs regardent et c’est comme si ça leur allumait des feux d’artifices dans les yeux et ailleurs aussi. Dix-sept ans. De son propre aveu, quand elle a balancé ses quatre vérités à ses vieux et qu’elle a pris ses cliques et ses claques pour rejoindre son amoureux, ce fut la pire connerie de sa vie. Après ne vous y trompez pas. Ce qui est fait est fait avec cette nana. Pas le genre à se mettre martel en tête. Elle voudrait revenir en arrière qu’elle pourrait pas plus que vous et moi alors autant tracer sa route.

Bah sa route elle a pas été très longue. Je sais pas trop à quoi elle s’attendait, mais le gars, Jake je crois qu’il s’appelait, il avait juste les moyens de tenir un bouge miteux ou toutes les fientes de skags venaient se bourrer la gueule et y laissaient plus d’ardoises que de crédits. Alors pour faire tourner la boutique, je sais pas si c’était prémédité quand il l’a levée dans se barge, mais il a eu tôt fait de la mettre dan le lit de tous ceux qui pouvaient payer. C’est un peu comme ça que la boutique pouvait continuer de tourner. Faut dire que je sais pas si vous l’avez déjà croisée la Patsy Redmington. Mais même encore maintenant c’est une bombe, alors je vous laisse imaginer le beau p’tit lot que c’était. Comment elle le vivait ? Peut pas vous dire. Elle ne s’étend pas souvent sure cette période de sa vie. Je suppose que son Mac lui faisait encore assez d’effet et qu’elle n’avait pas encore ouvert les yeux sur le monde et sur ses propres capacités ?... »

Une femme apparut alors derrière le bar.

« Ça y est tout le monde est parti ? Mais Jimmy, c’est pas sérieux trésors ! »

Un reflet métallique étincela brièvement dans la pénombre où l’enquêteur s’était retiré tandis que la femme roulait sur la table la plus proche d’elle en même temps qu’un claquement sec sembla provenir de ses jupons assortis à sa chevelure flamboyante. Le dit Jimmy resta les yeux écarquillés avant de s’effondrer lentement sur le sol, la chevrotine ne pardonne pas à cette distance. Le silence revenu, la femme se releva en riant de derrière la table qui l’avait accompagnée dans son roulé boulé.

« Oups ! Je vais bien, pas d’inquiétude ! Jimmy ?»

S’approchant du corps au visage tourné vers le crédit qui avait roulé de sa poche, elle prit un air navré dont il était difficile de sonder la sincérité. Elle murmura une étrange oraison funèbre ou pointait une tendresse pour la loque humaine qui venait ni plus ni moins que de la trahir.

« Je t’avais bien dit que trop parler allait finir par te jouer des tours, chéri. Cette fois je vais devoir me cogner la brouette pour les skags. Ils n’auront jamais aussi bien mangé. »

Visiblement, elle n’a pas l’habitude de tergiverser et après avoir disparu dans l’arrière l’arrière salle, elle réapparu en tenue qui se voulait sans doute celle d’un travailleur de force mais sous laquelle on venait encore son bustier qu’elle n’avait pas pris le temps d’ôter. Visiblement Jimmy n’avait pas menti. Si les années avaient durci un peu ses traits Patsy avait de quoi encore faire chavirer les cœurs des jeunes et des moins jeunes et l’éclat rieur de ses yeux verts n’avait en aucune façon terni. Elle pousse une brouette hybridée de diable sur lequel elle tire en soufflant le corps de l’enquêteur. Il avait fallu le dévêtir pour brûler ses effets.

« Quel gâchis ! J’en aurait bien fait mon quatre-heures. »

Il fallait pourtant qu’il disparaisse en premier, même si son calibre irait rejoindre l’arsenal de la rébellion. Habituée à la survie elle dut faire appel à ses ressources pour transporter l’enquêteur. Il faudrait faire voyager ses appareils de communication afin de finir de brouiller les pistes de Hypérion. Jimmy subirait le même sort au grand dam de la tenancière.

Elle se demandait encore comment elle était entrée dans les rangs des rebelles.


Elle avait vingt-six ans lorsque Kat était entrée dans le bar où elle se vendait pour faire vivre son couple. Elle se souvenait des rasades d’alcool fort qu’elle était capable d’assumer et des conversations qui semèrent les premières graines de ce qu’elle allait devenir. Être gaie et avenante était devenu pour l’entraîneuse comme une seconde nature. Depuis qu’elle était tombée sur des illustration de provenance douteuse, elle s’habillait avec un siècle de retard lui disait Kat, mais cela semblait n’avoir aucun impact sur la rousse entraîneuse et qui plus est, plaisait visiblement aux hommes qui virevoltaient autour d’elle. Elle avait appris à répondre aux sollicitations des hommes en mal de chair fraiche, faisant mariner celui-ci, repoussant cet autre, ou encore cédant au dernier. Elle faisait danser son petit monde et les crédits avaient fini par renflouer les affaires du couple.

Evidemment, ce qui devait arriver arriva. Une grossesse non désirée périclita bien vite en une fausse couche ravageuse pendant laquelle Kat la veilla. Elle fut aussi sa source de sang que l’hémorragie dont elle avait été victime réclamait à toute force. Lorsqu’elle se réveilla, elle sut assez vite qu’elle ne pourrait plus enfanter. Les soins de fortune qui lui avaient été prodigués l’avaient sauvée mais avaient eu un prix. La gaité de l’entraineuse s’était muée en un petit grain de folie qui fait depuis sa réputation. D’ailleurs peu se souviennent qu’elle a été un jour vraiment différente.  

Finalement, il avait fallu quelques années de plus mais tout se passa comme si cela avait été écrit de tout temps. Elle avait dû prendre parti un jour où la rebelle était arrivée par la porte de derrière avec un blessé. La rouquine n’avait pas hésité longtemps. D’une part, les circonstances ne l’autorisait pas et puis l’amitié qui s’était instaurée entre les deux femmes depuis les derniers mois pour Kat alliée à ses théories sur la liberté avaient avait fait le reste. Première opération de secours improvisée et puis espionnage, quitte à payer de sa personne c’est-à-dire de sa plastique capable de délier bien des langues. Elle faisait tout cela dans une joie qui inquiétait son amie mais donnait la plupart du temps le change en particulier à celui qui pensait avoir encore la main mise sur la belle rouquine. Son extravagance était légendaire. Nul ne sait comment elle réussissait à garder tous les secrets dont elle était petit à petit dépositaire, mais elle faisait merveille. Encore Patricia pour son « fiancé » et les clients du bar, elle devient déjà Patsy pour les rebelles qui lui apprennent à manier les armes à feu, ne serait-ce que pour pouvoir se protéger en cas de coup dur.

Lorsque qu’elle s’était réveillée ce jour là son anniversaire de vieille comme elle disait était passé d’à peine un mois. Elle grelotait de fièvres et sa tunique de malade lui collait à la peau et Kat lui tenait la main. Les yeux cernés elle jetait des regards effrayés autour d’elle.

« Mais putain. Où je suis. J’ai trop mal ! »
_ Je sais. C’est ta jambe. On a dû…
_ Quoi ?!!
_ Je suis désolée, on n’a rien pu faire pour la sauver. On a profité qu’on en avait une sous la main… »

Patsy avait tenté de porter sa main à ses jambes. La douleur était si intense qu’elle ne savait plus qu’elle partie du bas de son corps en était à l’origine. Mais elle était trop faible et sa tête retomba sur l’oreiller.

« Tu te souviens de ce qui s’est passé ?
_ Je crois oui… Jake.
_ Il va bien…
_ A croire que tu le regrettes… Elle est belle au moins ?
_ Tu sais ce que j’en pense… Tu vaux mieux que ça. Elle est pas mal oui et bien équipée.
_ Petite conne ! Je croyais que tu avais perdu le sourire. T’aurais pas un seau, Je crois... »

La main preste de son mai avait attrapé un bassin de métal juste à temps pour recueillir la bile de l’entraîneuse dont les cheveux se collaient sur son front ses tempes et tous les endroits de sa peau à leur portée.

« Je prendrais bien un truc fort. »

Son sourire se perdit dans une grimace de douleur en même temps que ses yeux se révulsèrent. Elle perdit encore mainte fois connaissance et garda de cette expérience une appétence pour les opioïdes de synthèse.
Remonter la pente se familiariser avec son membre de synthèse lui prit bien trois mois, protégée par la clandestinité des rebelles. Jake dont la bêtise avait tout de même des limites, l’accueillit avec toutes les questions et les récriminations que l’ont peut imaginer. Aucun témoin n’est encore là pour assurer de ce qui s’est passé. La légende dit que pour la première fois Patsy revendiqua sa liberté, son appartenance au groupe des rebelles et que son Mac qui ne voyait aucun inconvénient à ce qu’elle se fasse sauter par quiconque pouvait y mettre le prix ne le supporta pas et serait entré dans une colère noire. Mal lui en prit et le dernier coup qu’il lui porta déclencha simultanément, les deux petits mécanismes dissimulés dans la jambe artificielle. De façon improbable sauf à imaginer une mêlée d’une rare violence, Jake eut la poitrine perforée d’une lame et d’un coup de feu à quelques centimètres l’un de l’autre.

« Je t’avais dit que tu ne pouvais pas rentrer seule.
_ Aïe ! Ça fait mal ! »

Les deux femmes éclatèrent de rire devant le miroir de la chambre de celle qui venait de devenir la patronne des lieux. Son beau visage était méconnaissable. La pommette fendue, et incapable d’ouvrir l’œil droit tuméfié.

« Arh ! Putain je crois que j’ai une côte cassée !...
_ Tu le fais exprès pour rester au lit.
_ Jake ?
_ Les skags avaient bon appétit ce matin...
_ …
_ Laisse-moi faire…
_ Tu ne veux pas plutôt m’aider à enfiler mon corset histoire de voir comment ça le fait ? »

Ce ne fut pas une partie de plaisir mais le lendemain, elle reprenait le travail. Enfin, prostitution en moins. Le Patsy's Barbiturics donne une assez bonne idée de tout ce qu’établissement peu fournir en plus du sourire de la patronne.

Avec les années, elle a dû apprendre à mettre des lunettes mais surtout à jouer les mères, mais pas que, de substitution pour tous les rebelles plus ou moins habile à se faire voler en éclat leur couverture ou à foirer leur opération contre Hypérion.
Parmi eux ses deux chouchous, Joey Harper et Donovan Harvey, tous deux envoyés chez elle par l'une de ses connaissances, Eugène Daft, suite à leur fuite de l'entrepôt de Lynchwood. Après un an à les garder à l’œil, et à veiller sur eux comme une mère, elle leur présente Kat pour leur faire intégrer la Rébellion. Elle les considère sans doute comme les enfants qu'elle n'a jamais eu et n'aura jamais étant donné son âge qu'elle garde secret et dissimulé sous des couches de fards et autres artifices divers et variés qui la gardent dans le coup et le cœur de ses clients même s’ils savent qu’ils n’ont rien à attendre d’elle.


Lorsque sa besogne fut achevée, elle remonta dans es quartiers en sifflotant Mary had a little lamb, preuve que les comptines enfantines peuvent traverser l’espace. Elle ne remarquait plus depuis longtemps les tressautements sonores de la tuyauterie qui remplissait son tub. Un bon bain, rien de tel pour chasser les émotions négatives.